Mont Rose en ski-alpinisme

Publié le par Philippe Thévenet

MONT-ROSE : DES VICTOIRES ?

La fatigue aidant, j’ai bien failli me fourvoyer à philosopher sur le thème « effort ou galère », et c’eût été fort dommage ! Car ce raid restera, sous bien des aspects, certainement une des plus belles courses montagnardes du Pyrénées Club. Un programme alléchant, mais déjà l’équipe s’amenuise pour causes diverses : famille, Miami…Et seuls sept « fidèles »  se retrouvent ce dimanche à Pompertuzat sous la houlette de François : Aude, Bertrand, Richard, Daniel, Thierry, Philippe R. et moi-même (Philippe Th.). Destination et arrêt à Chamonix, puis nous réinvestissons le gîte, si pittoresque, de la Boerne, après Argentières. Berceau de l’alpinisme, cette ancienne demeure d’Armand Charlet allie charme, originalité et bonne musique, incitant même certains à tenter de recréer une telle ambiance en Barousse, avec une réussite évidente ! Après une dernière douche justement appréciée, le célèbre 4X4, à l’avant déterminé, et le break à la blancheur enneigée, visent Saas-Fee, côtoyant les installations militaires engazonnées et les contreforts du Wildstrubbel, parcouru en 2002. Déjà midi, une voiture est positionnée à Saas-Grund, et un premier pique-nique sous les mélèzes en « fleurs » nous plonge, enfin, dans l’ambiance du raid. La station, déserte, est vite traversée, une télécabine et une benne nous hissent à Längfluh. La montée, sympa entre pistes et forêts, est animée par les balades nonchalantes des marmottes et le spectacle inédit des bagarres de marmottons ; l’arrivée est ponctuée par un cri de Thierry « mes bâtons ! », oubliés en cabine, mais au demeurant, bien vite récupérés. 

D’emblée dans le gîte de Längfluh (2.870 m), nous investissons la terrasse, dotée de « transats couverts » en osier, étudiés pour le confort jusque dans leur moindre détail : inclinaison, store et porte-verre intégrés, repose-pied matelassé, "coussiné"… Telles les marmottes, nous nous prélassons, jouissant de la vue appréciable de glaciers en sommets, d’arrêtes en séracs. La fin d’après-midi se révèle plus studieuse : briefing, exercices de sortie de « crevasse », révision de matériel, de nœuds…chacun s’imprègne des consignes de sécurité et se concentre. Réveil à 5 heures pour un départ cool sur les pistes de ski, le rythme se tient, tranquille, avec l’objectif d’un sommet proche : Allalinhorn (4.027 m). La montée, agréable, sinue entre crevasses et raidillons, et déjà le col est atteint. Les haltes sont brèves, permettant juste d’avaler quelques calories rapides. L’ascension finale nécessite crampons et corde, un rythme régulier nous conduit au sommet. Sous la croix, le spectacle est grandiose, le Cervin et le Mont-Blanc surgissent au loin, rehaussés par l’aspect rugueux des proches sommets de l’Alphubel, du Täschhorn, du Dom…Nous devinons le glacier d’arrivée du Chamonix-Zermatt. Les objectifs des prochains jours nous semblent si proches, mais aussi si lointains. Bien vite, l’altitude, le vent et le froid nous rappellent à l’ordre et la descente commence pour cette « solide » cordée. 

François va tout de même perdre une (ou deux) étoile(s) au guide « Thierry », un itinéraire hésitant nécessite l’installation d’une corde fixe et il faut trouver un passage pour basculer dans l’autre vallée. Vers midi, une halte au restaurant en rotonde (Drehrestaurant Allalin 3.500 m) permet de se sustenter … et de se renseigner, pas vraiment réjouissant : il n’y a pas de traversée possible, il faut redescendre et remonter par un col. Thierry met les cales et, volontaire, attaque. Le col est là, mais le refuge est encore loin. En route avec Richard, nous poursuivons Thierry, nous le retrouvons, vers 16 heures, bien au chaud de Britannia Hütte (3.029 m). Style refuge suisse, avec son confort (Trockenraum ou séchoir chauffé, spacieux, sabots de couleurs différentes selon les tailles…), mais, avec une seule chiotte, les queues sont souvent longues. Quelques effets de l’altitude se font sentir, l’acclimatation se fait progressivement, même si personne n’a pris de Diamox. Bertrand  précise que le Viagra peut utilement remplacer le Diamox contre l’altitude, mais d’aucun redoute certains effets secondaires inopinés. A 6 heures du mat, c’est la foule au départ, la lente traversée du glacier Allalin s’égrène d’un pas de sénateur, convenant à la plupart. Le soleil émerge, éclaire, souligne et colore progressivement les sommets environnants. Au col, se forment les couples, la montée se poursuit à ski, un sac allégé pour deux. Le sommet du Strahlhorn (4.190 m) est là, encore une vue époustouflante, les pics semblent nous attendre, ancêtres de roche et de glace, mais le vent vif limite la halte aux manips habituelles. 

Retour au col. Une corde fixe permet de basculer dans l’autre vallée, nous rechaussons bientôt les skis, se délectant d’une descente à la neige agréable et souple, mais trop courte à notre goût. Remettre les peaux pour cette montée longue, ventée, presque mécanique. Nouvelle traversée de glacier, le Findelengletetscher ressemble à une longue langue découvrant un panorama idyllique, des glaces du premier plan émergent, tout en contraste, un cirque de pics hautains (Weisshorn, Zinalrothorn…), ribambelle menée par la silhouette acérée du Cervin. Quelques traversées alanguies en direction d’un poteau, il nous faut déchausser pour la prochaine épreuve. Encore de l’inédit, une Via Ferrata en chaussures de skis… Cordes, câbles, marchettes, longe...La halte suivante est appréciée et permet de se requinquer. Heureusement, il ne reste que de la descente jusqu’au refuge ! Mais, quelle descente ! Une neige pourrie, s’effondrant soudain, sans raison, nous transformant un temps en tortue maladroite, peinant à retrouver la station debout. Une neige traîtresse, cachant méticuleusement des pièges sous son manteau. François s’arrête soudain - la corde - demande-t-il calmement ! Aude, toujours efficace, lui lance un bout, chacun s’encorde et la chenille se meut, doucement, à l’affût. Les crevasses sont là, présentes, tangibles… au bout d’une spatule, quand s’enfonce un bâton… le vide !

Le tour du cadran, il est près de 18 heures quand nous atteignons le refuge de Monte Rosa (2.795 m). Toujours la rigueur helvétique, s’inscrire avant tout, en présentant les cartes CAF, s’il vous plait. Même sans couette, les lits sont appréciés. Les passionnés des cartes redécouvrent leurs réflexes, les jeux se succèdent, sous les indications de Bertrand, véritable spécialiste, nous initiant tour à tour au 99, trouduc, whist roumain, Dame de Pique… des parties acharnées ont ponctué les diverses soirées, certains scores étant même gardés précieusement en souvenir. Le soir, la fatigue se fait sentir, très peu sont chauds pour le petit-déjeuner de 3 heures 30. La météo, annoncée bonne le matin, doit se dégrader progressivement. Le choix se porte sur Margherita (non pas la pizza, mais la pointe) avec un réveil à 6 heures. Thierry et Philippe R. préfèrent, quant à eux, attendre le réveil « délicat » des filles responsables du refuge (demander le  récit savoureux de Thierry). Le paysage est réellement sublime, notre trace sinue délicatement entre (ou sur) les glaciers, les séracs, les crevasses…Seule la Norvège m’avait donné cette impression de sauvagerie des glaces, rivalisant de parures, toute en luisance, avec toutes les nuances de blanc, bleu, vert…Des architectures alambiquées ou délicates, massives ou en finesse. Chaque coup d’œil nous charme et donne l’envie de poursuivre la découverte. En chemin, nous croisons une file de skieurs venant d’Italie, nous les reverrons dans la descente, encordés, déguisés en « chenille », ils serpentent sur le glacier. Bientôt, la fatigue et l’altitude se rappellent à moi, j’hésite même un temps à poursuivre cette quête. Mais, dopé par le spectacle, l’ambiance et la solidarité collégiale, je m’accroche à François et poursuis tranquillement cette montée. Mais, les prévisions s’avèrent exactes et déjà le ciel s’obscurcit. Vers 13 heures, la barre des 4.000 m dépassée, il est temps de stopper cette conquête, près du col. Attention à la crevasse seulement visible par une nuance de neige, mes bâtons sont déjà dessus ! La descente doit être précise, à la queue leu leu, personne ne doit quitter le tracé « sécurisé » de François. Le groupe est solidaire de la moindre casquette, chute, pause…Et nous retrouvons les petits ponts sur crevasses, juste calculés pour notre passage, les séracs en style de tranche napolitaine, au danger latent.

En milieu d’après-midi, nous apercevons nos deux collègues annexant les meilleures places de la terrasse du refuge. C’est le temps de la détente, de la sieste, du farniente…mais juste une fois que tout est en place, des peaux à sécher aux sacs et chaussures dans leurs compartiments. Dame de Pique ou plis à cœur ? Certains semblent s’abonner à leur conquête, par plaisir sans doute. Les dîners se révèlent succulents. Préparés par un népalais, copain de Daniel, ils sont relevés, pimentés à souhait et engloutis avec d’autant de plaisir qu’ils sont les seuls vrais repas de la journée. Demain, le groupe au complet tente le sommet, le Dufourspitze nous nargue. La météo redouble, mêmes prévisions que la veille. Nous écoutons, impressionnés ou ironiques, le speech du guide voisin. Tout est dit, pesé, calculé : la moindre attente aux chiottes doit permettre de mettre les peaux. J’avoue, comme souvent, avoir été plutôt impressionné par le punch des « papys » suisses que par le discours ex-cathedra du guide. Et dire que certains ont plus de 75 ans, même s’ils sont nés « skis aux pieds », c’est encourageant ! Une soirée de préparation, les sacs, les peaux, les gourdes… tout doit être prêt pour un départ très matinal. Réveil vers 3 heures, des silhouettes, un peu hagardes, se sustentent de céréales, thé, tartines, charcuteries…

Il est 4 heures 30, dehors, à la frontale, c’est la foule ! Comme au milieu de la banquise, il faut retrouver sa colonie de « phoques ». Je suis même un temps attiré par changer de colonie et suivre deux jeunes canadiennes charmantes. Les groupes se suivent sous un ciel en partie étoilé, sorte de processions nocturnes, les frontales remplaçant les flambeaux. Cette impression de liberté, sereine et vive, chaque inspiration semble régénérer, même si chaque pas doit être gagné. Un groupe part à gauche, un groupe part à droite, nous hésitons, puis, prenons au centre. Ce mamelon doit être franchi, mais la pente s’accentue. François jauge ses troupes, Thierry ne le sent pas, d’autres, mal positionnés, risquent le dérapage. On déchausse ! La montée à pied est fastidieuse, encore cette neige pourrie, à la stabilité incertaine, s’effondrant souvent et chacun se retrouve empêtré dans la neige, jusqu’au-dessus des genoux. On a tiré la Dame de Pique, ironise Richard et de l’énergie s’envole. Enfin, nous remettons les skis pour une traversée, et par la suite la pente devient plus modérée. Mais, les lueurs des « papys » apparaissent maintenant au loin tandis que les jeunes canadiennes nous dépassent allègrement ! Monter, mettre un pied devant l’autre, calmement, mécaniquement, en souplesse. Les haltes sont brèves, le jour nous a envahis, presque inconsciemment. Mais, plus on grimpe, plus la montagne semble nous échapper, s’éloigner, se draper jusqu’à l’excès. La visibilité s’estompe et peu à peu le brouillard nous envahit. Encore quelques raidillons et la décision inéluctable du demi-tour s’impose, un peu avant les 4.000 m. La purée de poix paraît encore plus prégnante dans cet environnement de crevasses et de séracs.

La descente se présente comme la précédente, toute en prudence et en équipage. Le moindre arrêt, la moindre chute  devient collégiale, le danger est là, mais l’expérience et le professionnalisme de François nous ramènent bientôt sous des cieux et sur des secteurs plus sereins. Les autres groupes apparaissent, ayant également rebroussé chemin, certes un peu plus haut, mais à peu près en même temps. Le chalet, déjà, il est 10 h 30, chacun souffle et s’organise. Décision est prise de redescendre dans la foulée pour envisager le Breithorn le lendemain. L’hélico arrive disséminant les affaires et larguant un filet de victuailles. Je me retrouve avec Aude à tirer sur le filet pour l’amener sur la plate-forme réduite du refuge. Après un casse-croûte commun, débute la descente du glacier, le cheminement, bien jalonné, sinue entre les crevasses. Mais, une montée en portage s’impose pour rejoindre le petit train de Zermatt. Et ce fût dur ! Je cale, m’arrête, ne redémarre que difficilement. Diverses pérégrinations familiales ou professionnelles, cet hiver, ne m’ont permis qu’un entraînement en demi-teinte. Au premier arrêt, je m’écroule et m’endors aussitôt...Morphée et quelques-unes de ses copines m’accueillent de leurs mélopées. « Philippe » ! Où suis-je donc ? Le panorama de ce réveil est sublime, l’ensemble du massif, des glaciers, des pics environnants, du Mont-Rose baigne maintenant dans un soleil printanier. Chaque voie, raidillon, pointe, glacier peut être analysé, détaillé à souhait. Requinqué, je redémarre, tranquille, devisant avec Daniel. Mais le temps semble de nouveau se gâter, la neige veut être de la partie. Un dernier virage et la gare est là, alors que je l’avais craint beaucoup plus loin, vers le dôme. Je pose le sac pour me couvrir, quand Aude et Richard accourent, surgissent. Le temps presse, la prochaine navette part incessamment, une course contre la montre s’engage avec un scénario à la Hitchcock et à la Buster Keaton.

Ouf ! Tout le monde est à bord et s’offre une descente en train, appréciée à sa juste valeur (plus de 20 €). Les projets évoluent en même temps que l’altitude, la météo inquiète et finalement le désir que retrouver le confort prime sur l’aventure. Zermatt est visité alors que Richard et François sont aller quérir les voitures. Station désertée, piétonne, pittoresque avec ses magasins kitch, son folklore, sa fontaine aux marmottes, ses vieilles demeures en bois…tandis que Daniel poursuit sa collection de brochures. Sur la route, un dîner animé, aux relents de bière et de rosties ponctue la soirée. Je somnole dans la Mercedes, et bientôt le chalet CAF de Chamonix, pardon du Tour, est là vers 22 h 30. Une rude journée s’achève et je retrouve avec plaisir Morphée. Une douche revigorante, un petit-déjeuner reconstituant, je serais presque d’attaque. Un trajet agréable avec François et Thierry, la musique est bonne et je peux me détendre à l’arrière. Pompertuzat nous accueille vers 18 h 30, l’apéro signe le départ des premiers, alors que plusieurs prolongent cette ambiance en appréciant, dégustant les agapes savamment préparées par Dany : salades et crudités diverses, viande rouge, légumes, charcuteries, carpaccio, desserts, gâteaux …le tout arrosé du puissant Corbières de « Thierry ». De l’altitude, de longues journées rythmées, des images et des souvenirs gravés, près de 5.500 m en 4 jours. Certes le sommet n’a pas été « vaincu », cette fois, la montagne a « gagné ». Mais ce raid n’est-il jalonné de victoires personnelles ou collectives. Celle d’un guide, d’un ami, qui a récupéré, voire doublé son capital d’étoiles, de victoires sur soi-même, de chacun,  pour se dépasser ou accepter ses limites, celle d’un groupe, enfin, pour sa solidarité et sa convivialité, dans les joies ou les difficultés.

Votre conteur, Philippe

 

 

 

 

 

Publié dans Montagne

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