La Grande Fâche en famille

Publié le par Philippe Thévenet

NE NOUS FACHONS PAS !

 La période de la Toussaint n’est pas vraiment l’idéal pour les virées en Montagne, cumulant souvent les inconvénients des 2 saisons : froid, jours écourtés, pierriers déneigés, absence de glisse revigorante…Et pourtant les oracles semblent propices en cet automne 2001, la météo s’annonce excellente et les premières neiges ont déjà copieusement décorées les cimes. Vendredi 31 octobre, après avoir récupérer des duvets, piolets et crampons supplémentaires chez Alain et Marie (la famille est grande), le camping-car décolle après les cours des garçons. Le repas est vite, mais joyeusement, expédié, par roulement sur l’autoroute et nous retrouvons notre place sous les arbres du Pont d’Espagne vers 23 heures. Bonne nuit à tous, même si pour certains, elle s’avère déjà bien engagée.

 Le réveil sonne à 6 heures 30 et s’entame la nécessaire préparation du matériel pour une rando de 4 jours en autonomie, dans des conditions presque hivernales. Tentes, duvets, matos de montagne, corde, bouffe sont répartis dans les 5 sacs à dos. Aymeric (16 ans), Vivien (14 ans), Maxence (11 ans), Dany (avec sa grippe intestinale) et Philippe sont chargés comme des baudets, chacun selon ses forces, mais que les sacs sont lourds ! Le froid pique un peu les narines, mais que cela respire bon la liberté, quand, enfin, les premières foulées nous éloignent de notre « domobile ». La vallée du Marcadau est quasi déserte en cette saison. Le soleil et la marche nous réchauffent bien vite. Les couleurs automnales se mirent dans les clartés des lacs et des ruisseaux. Les cascades éblouissent de lumière étincelante dans leurs écrins de verdure. Les chants des ruisseaux et des houppiers colorés et bruissant forment bientôt un hymne de marche.

 Après une preste halte au refuge Wallon, nous attaquons les choses plus sérieuses avec le raide sentier de la Peyre St Martin. Le repas se révèle le bienvenu, juste à la birfucation avec l’itinéraire des lacs du Pourtet et de l’Embarrat (une superbe excursion familiale à notre actif en octobre 1997). Sur un gros rocher (à 2050 m), les sacs se vident un peu au profit de nos estomacs demandeurs. Les pics environnants sont bien plâtrés, d’un coup d’œil, nous reconnaissons et apprécions les ascensions passées… ou futures. Carpe Diem, nous humons et dégustons le temps, car aucun impératif ne se profile. Mais, nous aurions peut-être du manger un peu plus, car les sacs paraissent plus lourds qu’avant la halte. Sous un temps réellement magnifique, nous découvrons les premiers lacs de Cambalès, comme une scène centrale miroitante aux gradins de roches. Dany traîne, mais j’admire son courage, faire un raid tout juste sortant d’une grippe. Toutefois, je me prends à douter : nos ambitions sont-elles réalistes ?

 Quel punch ! Les trois garçons se sont vite appropriés leur domaine, la tente est rapidement montée au bord d’un lac (vers 2310 m). Le froid commence à sérieusement piquer dès que le soleil disparaît. Heureusement, le repas anime les esprits, réchauffe les cœurs et les corps, bientôt les doutes sont oubliés. Alors que les étoiles commencent à nous saluer, chacun s’occupe, visitant les divers lacs, jetant des cailloux, préparant sa nuit. Trois montagnards nous saluent, suppris de notre présence et notre entrain à cette altitude. Certes, la nuit est fraîche, mais le moindre regard sur le ciel limpide et maculé d’étoiles nous requinque. Tout le monde a bien dormi et attaque vigoureusement le petit déjeuner avec pain, beurre, crêpes, confitures… mais sans croissant, excusez du peu ! Le premier objectif est le col d’Aragon, une fois chargés, nous rejoignons  le plus grand lac que nous contournons par la gauche. L’itinéraire est facile, parfois un peu raide, sinuant sur les arrêtes.

 Telles les voyelles de Rimbaud, les lacs des Pyrénées ont chacun leur couleur. Et la soudaine découverte des lacs d’Opale nous émerveille. Oh combien bien nommés, ils surprennent par cette teinte bleutée unique, ces reflets irisés dignes de joyaux royaux. Rarement les Pyrénées ne me sont apparues aussi féminines qu’ainsi parées de superbes pierres précieuses. Le glacier d’Aragon me ramène les pieds sur terre, ce couloir évasé nécessite de s’équiper. Piolets, crampons et corde pour Max (tenu très serré, car sans crampons), retrouvent leurs fonctions. Aymeric prend la tête traçant une voie en souplesse, pour économiser les forces. Le col, enfin, où l’arrêt est bref et revigorant. Nous préférons ingurgiter le Cambalès dans la foulée.

 Retrouvant un versant Sud, la montée au Pic est sans problème et sans crampons, juste ponctuée par quelques reprises de souffle. Un panorama espoustoufflant, comme souvent, Balaïtous, Pics d’enfer, Petite et Grande Fâche, Vignemale en constituent le premier plan. La  plupart des sommets célèbres des Pyrénées finissent ce décor. Tous les sommets sont plâtrés de blanc et les différences d’exposition sautent aux yeux. Avec, en prime, ces lacs scintillants de couleurs qui parsèment les vallées arides. Quelques silhouettes se distinguent sur la Petite Fâche, les premières rencontres depuis hier. Une descente rapide nous ramène au col et aux sacs, où un vrai repas, reconstituant, s’improvise. Dany, préférant profiter de la quiétude, débute sa sieste sous la surveillance de Max. Phil et les 2 aînés attaquent, en version légers, la Pêne d’Aragon. Un sentier en arrête nous mène bientôt au sommet, car le rythme est soutenu. La petite Fâche est très vite accessible, mais nous gardons ce morceau de choix pour une ascension commune, prévue le lendemain.

 Au col de nouveau, les trois gars s’amusent sur le petit étang pris par les glaces. Et je revois ces images, où encore bambins (à peine 12 ans pour l’aîné), ils taillaient au piolet des radeaux de glace, pieds nus à l’Etang de Guzet. Les rares randonneurs de l’époque nous ont sans doute pris pour des « fous » échappés de quelque igloo. La récré est finie et nous visons, alors, le col  de la Fâche. La traversée vers le col n’est pas évidente, très peu de caïrns, nous partons à l’estime parmi les blocs et les pierriers. Nous sommes, un temps, doublés par trois espagnols au sprint ; leur passage confirme notre itinéraire. Après plusieurs névés, nous arrivons près d’un point d’eau, à  50 m environ sous le col. Les jours sont courts, il devient urgent de trouver notre bivouac. En dépit de nos tours et détours, nous ne trouvons aucune zone plate, suffisamment grande. Pressés par la nuit qui s’avance, nous plantons la tente sur la seule possibilité restante…dans la neige. C’est une première avec les gamins, à plus de 2600 m en Novembre, que d’enfoncer des piquets sur un névé. Quelques pierres pour s’asseoir et la veillée commence autour du roi Bolino. Une couverture de survie renforce l’isolation du sol et chacun s’installe, un peu serré, ce qui somme toute est plutôt un avantage dans ces conditions. Chacun s’emmitoufle, endossant tous ses habits, je garde cependant mon Goretex, comme oreiller, pour suppléer à un éventuel coup de froid de l’un ou l’autre. Une nuit sans particularité, à l’exception de Max que je trouve assis vers 2 heures du mat. Tu as froid ? Non, mais j’ai plus de place. Je pousse Vivien, tire Dany et tout rentre dans l’ordre. En final, c’est peut-être moi qui ai le plus mal dormi, étant en éveil et ne dormant que d’un œil.

 Le grand jour commence, avec pour objectif : les Fâches. La tente reste montée en camp de base et seuls 2 sacs allégés, comprenant virtuailles et matos, sont chargés sur les épaules. Un petit névé nous mène au col, d’où nous dégustons le soleil naissant. Le départ du sentier est facile, mais les choses se gâtent vite, sous la forme de névés et de glace. On s’équipe de nouveau en piolet, crampons et corde pour Max. Mais, ça grimpe sec, sans sentier, style 3000m en conditions hivernales.  Il faut souvent mettre les mains et les aînés, princes de l’escalade, ouvrent la voie à tour de rôle. Un passage un peu plus délicat en arrête, mi-glace, mi-rocher, et Vivien hésite. Conclave avec Aymeric qui le sent et on installe une corde fixe pour sécuriser Max et Dany. Par la suite, la finale apparaît presque cool. Quelques prises de mains et la Fâche est à nous, à 11 heures à peine. Sous ce ciel luminescent, nous laissons éclater notre joie et notre fierté sous l’œil bienveillant de la Vierge. Seuls au monde, nous savourons pendant plus d’une heure le panorama, perdus dans une contemplation tranquille et sereine. Du Vignemale qui nous fait un clin d’œil au Taillon qui nous rappelle cette ascension tous les cinq, en mai 2000, dans la neige. Un peu d’énergie avant d’entamer la descente que nous appréhendons un tantinet. Deux hésitations sur l’itinéraire et nous croisons 3 espagnols, scotchés  à l’endroit où Viv hésitait. Après 3 questions auxquelles je réponds avec mon espagnol inexistant, ils décident de faire demi-tour. Suit un petit couloir très raide, évité à la montée, qui pimente le tout. Mais, Aymeric assume, creusant des marches confortables. J’assure tour à tour Dany et Max dans ce passage un peu délicat. Et le col est déjà là, peuplé d’espagnols. Certains se moquant de ceux qui font demi-tour alors qu’une famille est passée. Deux autres, équipés et volontaires, atteindront rapidement le sommet.

 Après brève réflexion, nous gardons la petite Fâche pour plus tard, préférant une petite pause au camp de base. Les garçons, toujours pleins d’énergie, finissent leur igloo commencé la veille, pendant que nous siestons allègrement. On lève bientôt le camp et nous dirigeons vers le refuge Wallon. La descente est agréable, variée, mais apparaît une peu longue après les efforts consentis, tant physiques que moraux. Nous posons les sacs à l’aire de bivouac et je pars  vers 17 heures en éclaireur, voir si le refuge peut nous servir quelque chose de chaud. Vous n’avez pas réservé ? Je ne me savais pas à l’hôtel et repars bredouille. Heureusement, Dany sait transformer le peu qui reste en festin de rois. La nuit fût excellente, nous avons presque trop chaud et admirons toujours autant les myriades d’étoiles. Le lendemain, la descente est tranquille, toujours ensoleillée et ponctuée des chants des cascades et ruisseaux. Nous prenons même le temps de ramasser quelques champignons.

 Au domobile à 11 heures, chacun se détend à sa manière : Dany se prépare un vrai café, Aymeric se trempe les pieds dans le torrent, Vivien et Maxence récoltent une profusion de cèpes. Et Philippe ? Il s’installe à la tambouille, une fois n’est pas coutume, pour mitonner un repas de fête. Des pâtes fraîches accompagnent une blanquette de chevreau aux morilles (et aux cèpes !). Fromages, yaourts, gâteaux, jus de fruits, c’est Byzance. Après un arrêt au Pentascope pour découvrir nos montagnes sous un autre angle, nous « atterrissons » à Pompertuzat, après ce qui restera, certainement, une des plus belles virées montagnardes des Thévenet ! Et ne nous fâchons pas d’avoir rater la petite… Fâche.

 Philippe, le 21/10//2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Montagne

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article