Quand le temps se gâte à Lajournalade (Pyrénées)

Publié le par Philippe Thévenet

JOURNEE A LA JOURNALADE
1er décembre 2007
 

Il est de ces pics modestes, qui peuvent révéler, selon les conditions, de véritables ambiances montagnardes. Des copains se souviennent d’épisodes hivernaux au Mont Né ou au Batcanère, dignes de rudes virées alpines. Samedi, le projet germe d’une sortie avec Dany, proche, courte et facile. Le Pic de la Journalade affiche moins de 2000m, juste de quoi profiter du soleil et de la neige naissante. Au col de Port vers 8 heures, le froid nous saisit de sa vigueur. Bien équipés, nous attaquons pleine pente au milieu des rhododendrons, myrtilles ou callunes. Le soleil commence à faire miroiter les pics alentours, colorant les forêts et les crêtes de flashs vénitiens. La fraîcheur n’incite pas à flâner et le Pic d’Estibat (1662 m) est bientôt atteint. 

La neige est là, parsemant les creux et les combes de sa blancheur prometteuse. Vite, s’abriter du vent vif et glacial pour apprécier le café chaud de Dany agrémenté d’excellents biscuits au citron. Soleil éclatant, un ciel à peine décoré de nuages étirés et furtifs. Le parcours en crête se lit simplement, d’estives en rochers. Les seigneurs ariégeois se découpent au loin sous l’égide du Valier, ayant sous cet angle perdu de sa rondeur. La neige, même parcimonieuse, ralentit notre progression. Nouveau petit col et nouvel arrêt pour se remplir les yeux de ces images sauvages. Au loin la chasse bât son plein et quelques détonations en font l’écho. La pente se redresse, il faut tracer au plus juste jusqu’à un dôme herbeux dévoilant tous les charmes de la Journalade. La transition est brutale, la montagne à vache se métamorphosant illico en une crête raide et plâtrée.

Le premier « gendarme », en ces conditions, est sérieux, Dany proteste  pour abus de confiance. Pour la sécuriser, crampons et piolets prennent du service. Il faut trouver les meilleurs passages, les plus sûrs. Brasser, s’accrocher. Une mise dans le bain sympathique, faisant d’autant plus apprécier le franchissement de ce premier obstacle. Heureusement la suite est plus aisée, plus facile ou peut-être sommes mieux rodés. L’ambiance prend une saveur d’ascensions hivernales de haute altitude, à tracer les derniers pas entre rochers acérés et poudreuse d’enfer. Le sommet, 1945 m tout de même. Quel plaisir de savourer cette conquête, cette solitude, ce panorama ! Contempler tout simplement, sans chercher, pour une fois, à personnaliser chaque sommet. Blottis sous le cairn, nous laissons nos esprits voguer, tels les 3 seigneurs si proches. 

Guide et cartes m’incitent à faire une boucle en passant par le vallon de Loumet. Je désigne même à Dany le sentier en contrebas, sur un replat enneigé. La descente est facile et amusante, agrémentée de glissades enfantines. Erreur, point de sentier, mais les reliques de la chasse. Un cervidé blessé coursé par des chiens de sang a tracé ce cheminement profond. Point de sentier, nous descendons un vallon enneigé, qui se transforme en gorge aux abruptes parois. Inquiet, je trace, priant pour ne pas déboucher sur un ressaut ou un à pic. La glace se met même de la partie. Ce vallon prend des airs sportifs loin du caractère cool prématurément annoncé à Dany. La sortie, enfin, d’autant plus soulagé que des traces de pas apparaissent. Ce chasseur, qui pistait son gibier, nous a permis d’éviter les pièges. Sagement nous emboîtons les pas de cet inconnu. En fin connaisseur, il sinue au mieux entre les barres jusqu’au ruisseau. 

La fatigue apparaît peu à peu, les pas sont lourds entre gispets glissants, rhododendrons multiples et rochers cachés. Je promets à Dany une halte revigorante à la cabane de la Doule. Chaque regard en arrière nous souligne la difficulté du parcours réalisé, d’autant que le temps se gâte. Nuages, bruines et brouillard s’invitent dans la partie. Décidément, la cabane se révèle une ruine. On trace, suivant la vallée jusqu’à une passerelle en bois, premier vestige en état depuis longtemps. Le retour ne devrait n’être qu’une formalité en suivant les sentiers de la carte par la forêt de Sauzet. Des chemins forestiers, parsemés de grumes fraîchement abattues de sapins. Arbres centenaires, majestueux, tout en verdure. La brume s’épaissit, la bruine devient pluie. 

Une maison forestière apparaît, perdue en plein bois. La route se rétrécit, devient piste. A l’orée du bois elle n’est plus qu’un sentier étroit laminé de gouttes. Nouvelle cabane de berger, aussi tristounette malgré son toit refait. Il pleut désormais à seaux. Un vague sentier, une sente d’animaux remonte derrière. L’espoir d’une proche arrivée nous dope. Mais nous déchantons bientôt. Le sentier se dégrade, n’apparaît qu’en pointillés, et va même jusqu’à disparaître complètement. Une impression de virée roumaine ou turque où le flair doit suppléer l’incertitude de la carte. Les choses se corsent avec le brouillard. Trouver le meilleur passage entre fougères, arbustes. Franchir au mieux les vallons et les zones marécageuses. Atmosphère hors du temps, reprendre les bons réflexes, tenir un cap. Heureusement, j’ai enfin domestiqué mon sunnto, et je maintiens une altitude un peu au dessus de notre col objectif.

Dany suit confiante, râlant juste un peu quand elle me perd de vue. Cela semble long, certainement plus que la réalité. Rarement j’ai été aussi heureux d’entendre une voiture. Nous sommes proches. Je vise un pseudo col, presque imaginaire. Le sentier d’Estibat, enfin. Respirations de soulagement. Le sentier descend, puis devient piste. Une barrière de bois. Je distingue une masse blanche. Les maisons du col, sans doute. Quelques mètres de plus, la tache blanche se précise. Nous tombons littéralement sur notre break, arrosé et perdu au milieu du parking. Trempés, heureux, détendus. C’est ainsi que le Pic de la Journalade, en dépit de sa modestie, entre par la grande porte parmi nos conquêtes montagnardes, rejoint le chapelet de nos plus belles aventures en couple.

 Philippe Le 05/12/2007

Publié dans Montagne

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